Social
Rupture du contrat de travail
Rupture conventionnelle individuelle : quand le consentement de l'employeur est vicié par les manœuvres du salarié
Une rupture conventionnelle repose sur le libre consentement de l'employeur et du salarié. Elle peut être annulée lorsqu'un vice du consentement est constaté. En pratique, c'est le plus souvent le salarié qui invoque un vice du consentement, mais il arrive que ce soit l'employeur qui considère que son consentement a été vicié. Une affaire tranchée par la cour d'appel de Versailles le 1er octobre 2025 en apporte une illustration édifiante.
Rappels sur la rupture conventionnelle individuelle
La rupture conventionnelle individuelle (RCI) permet de rompre à l’amiable un contrat de travail à durée indéterminée (CDI).
Elle ne peut pas être imposée par l’employeur ou le salarié (c. trav. art. L. 1237-11). Elle doit reposer sur le consentement libre et mutuel de chacun, à savoir un consentement qui n'est pas vicié par une erreur, un dol ou une violence (c. civ. art. 1128, 1130 et 1131).
Si le consentement du salarié est vicié, la RCI est nulle et a les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse (cass. soc. 16 septembre 2015, n° 14-13830, BC V n° 123).
Si le consentement de l'employeur est vicié, la rupture conventionnelle produit les effets d'une démission et oblige le salarié à rembourser à l'employeur l’indemnité de rupture et à lui verser une indemnité compensatrice au titre du préavis de démission non effectué (cass. soc. 19 juin 2024, n° 23-10817 FSB). Dans cette affaire, les juges ont considéré qu’il y avait eu un dol de la part du salarié et que celui-ci avait été déterminant du consentement de l'employeur à la RCI.
Pour rappel, le dol est le fait pour un contractant d'obtenir le consentement de l'autre par des manœuvres ou des mensonges. Est aussi un dol la dissimulation intentionnelle par l'un des contractants d'une information dont il sait le caractère déterminant pour l'autre partie (c. civ. art. 1137).
Une affaire tranchée par la cour d’appel de Versailles apporte une nouvelle illustration d’un cas de dol par un salarié pour obtenir la signature rapide d’une RCI.
Une juriste en droit social au sein d’une entreprise met en œuvre sa RCI sans solliciter l’autorisation de l’administration alors qu’elle est conseillère prud’homale
Dans cette affaire, la salariée était particulièrement avertie. Il faut dire qu’elle était responsable juriste en droit social France au sein de son entreprise. Elle avait par ailleurs un mandat de conseiller prud'hommes, dont son employeur avait connaissance, ce qui lui donnait le statut de salarié protégé (c. trav. art. L. 2411-22).
La salariée a signé une rupture conventionnelle individuelle (RCI) avec son employeur en arguant qu’elle ne voulait pas rejoindre un nouveau lieu de travail.
Elle avait rempli elle-même l’imprimé Cerfa formalisant la convention de rupture et permettant de demander l'homologation de la RCI. Mais elle s’était servie de l’imprimé « classique », et pas de celui permettant de demander l’autorisation d’une RCI pour un salarié protégé (c. trav. art. L. 1237-15).
Un peu moins d’un an après la fin de son contrat de travail, et alors qu’elle venait d’apprendre que son poste n'était finalement pas transféré, la salariée a demandé en justice la nullité de la rupture conventionnelle pour non-respect de son statut protecteur et diverses indemnités (pour un montant total de près de 600 000 €).
Le conseil de prud’hommes a rejeté la principale demande de la salariée, en jugeant la rupture conventionnelle licite.
Mais l’employeur a voulu aller plus loin, et faire annuler la rupture conventionnelle à son profit pour récupérer les sommes qu’il avait versées à ce titre.
Les arguments de l’employeur et la décision de la cour d’appel
De son côté, l’employeur fait valoir que son consentement a été vicié par la manœuvre dolosive de la salariée consistant à avoir intentionnellement utilisé le mauvais imprimé pour que la procédure soit plus rapide et pouvoir rejoindre son nouvel emploi.
L’employeur met notamment en avant le fait que la salariée connaissait la procédure de demande d’autorisation des ruptures de contrat de travail de salariés protégés. Qui plus est, elle avait une délégation de pouvoirs pour l'engagement et la gestion d'une procédure de licenciement.
Certes, l'employeur a signé le mauvais imprimé Cerfa, mais il souligne sa « totale confiance à la salariée ». De plus, la personne ayant validé la proposition de RCI n’était pas « un spécialiste des ressources humaines ».
L’employeur produit divers témoignages à l’appui de ces arguments, ceux-ci mettant notamment en avant l'expertise de la salariée.
La cour d’appel a donné raison à l’employeur.
Les juges mettent notamment en avant le fait :
-que la salariée était diplômée d'un master 2 en droit social ;
-qu’elle était Docteur en droit social avec mention très honorable ;
-qu’elle avait 9 ans d'expérience dans l'entreprise et qu’elle détenait un mandat de conseillère prud'homme depuis de nombreuses années.
Et, l’employeur n’avait pas conscience que la procédure suivie par la salariée pour sa propre RCI n’était pas la bonne.
Dans la mesure où l’accomplissement d’un acte, tout en sachant qu’il n’était pas le bon, était préjudiciable à l’entreprise, la salariée aurait dû, du fait de ses fonctions très étendues, faire connaître et respecter par l'entreprise la bonne procédure.
La salariée ayant la charge de son propre dossier de rupture conventionnelle, les juges considèrent qu’elle a sciemment agi en méconnaissance de sa protection statutaire, de sorte que cette attitude est constitutive d'une fraude de sa part.
L’attitude dolosive de la salariée à l'égard de son employeur est caractérisée par :
-le fait d’avoir cherché et obtenu le bénéfice d'un avantage financier dont elle n'aurait pas pu bénéficier en démissionnant à savoir, l’indemnité due par l’employeur en cas de RCI ;
-et le fait d'avoir voulu raccourcir le délai de la procédure en ne sollicitant pas l’autorisation préalable de l’administration.
À noter : la cour d’appel s’appuie ici sur une jurisprudence de la Cour de cassation dans une affaire relative au licenciement d’un salarié protégé (cass. soc. 29 septembre 2009, n° 08-43997 D).
En conséquence, les juges décident que le consentement de l’employeur a été vicié par les manœuvres dolosives de la salariée caractérisant un comportement frauduleux.
La rupture conventionnelle est donc nulle et produit les effets d'une démission.
La salariée devra rembourser les sommes perçues à l’employeur (en l’occurrence 55 070 € d’indemnité spécifique de rupture conventionnelle), et payer à l’employeur une indemnité compensatrice de préavis de 29 300 €.
CA Versailles 1er octobre 2025, RG n° 23/02254 https://www.courdecassation.fr/decision/68de07111bc19e7640ea3d33
